Tribune : Zone Franc, vassal financier de la France.
« Le destin de l’homme se joue sur la monnaie » (Rueff, 1950)
84[1]
ans après son institution, alors que les zones monétaires escudo[2]
et sterling[3],
créées à la même période ont disparu, la zone franc signe et perdure dans des
pays dont la situation économique en fait des plus pauvres au monde, ce depuis l’accession
aux indépendances des Etats affiliés.
Par :
Jobrey Loïc AMONA, Cadre de banque.
Elle
se caractérise par une pauvreté extrême, un chômage chronique et structurel où
plus de 40%[4]
de la population vit dans l’extrême pauvreté, et est confrontée à
d’innombrables défis structurels qui compromettent croissance et développement. De
surcroît, le débat[5]
sur le rôle du franc CFA[6], comme monnaie commune, se
pose avec acuité en lien avec la problématique de développement des 15[7] pays utilisateurs. Cette
remise en cause du franc CFA s’inscrit aujourd’hui dans la réflexion sur le
financement de l’émergence des économies africaines, et ses prérequis en
matière de degré de liquidité des économies. Par ailleurs, et trop souvent la
question sur l’essor des économies africaines a été abordée sous l’angle des
facteurs endogènes à savoir : la corruption, le népotisme, la faiblesse
des institutions, instabilité politique et sécuritaire…occultant le facteur
exogène, ayant nourri et alimenté le facteur endogène et ses ramifications. En
effet, ces facteurs conjugués concourent à des proportions différentes au mal
africain. L’angle d’analyse adopté ici, se consacre sur le facteur exogène et
ses racines, présentant en quoi le franc CFA a contribué au ralenti des
économies africaines. Il y’a une double dimension à la fois politique et
économique. Si la dimension politique a été majeure dans le cas de la formation
de cette monnaie, la théorie économique a mise en évidence les réalités
contradictoires sur les mérites prédits, tout en relevant la déconnexion
économique associée à cet assujettissement. Sur le plan politique, la vassalité
s’est matérialisée par une démarche de confiance hiérarchique qui repose sur un
rapport accepté de subordination. La monnaie est pouvoir… Il advient dès lors
qu’une instance supérieure, le Seigneur, la France, va énoncer les règles
d’usage de la monnaie, fixer les conditions de fonctionnement, garantir le
pouvoir moyennant une acceptation sans concessions au contrôle de l’économie
via la présence des MNC[8], protéger les exécutants,
et représenter une voie de recours en cas de velléités de destitution. Les
conséquences sont nombreuses : grognes sociales, grèves, coups d’état,
assassinats…djihadisme à tous ceux qui se sont aventurés à la contestation
desdits accords léonins. Du point de vue économique, plusieurs états de fait
viennent confirmer en quoi la zone franc a été, du moins l’est encore, le
vassal financier de la France.
Un
système caractérisé par un rationnement de crédit
Premièrement,
un demi-siècle durant, la présence sur le sol africain des groupes bancaires
français Société Générale, BNP, BPCE[9]… a été un règne sans
partage. Pour qui veut comprendre, cette présence a servi à accompagner
l’expansion des industriels français afin de renforcer l’emprise économique dans
la zone franc. Elles disposaient d’un
poids notable dans le système financier et, les conditions de croissance ne
pouvaient se réaliser que par la volonté de ces derniers. En particulier un
aspect plus spécifique, servant de relais dans la sortie massive des capitaux
licites et illicites, les banques françaises ont été la plaque tournante de la
prévalence d’un manque de financement chronique pour la zone franc. En outre,
ces banques détentrices de capitaux n’ont pas mobilisé de fonds vers
l’investissement dans l’appareil de transformation local pour soutenir
l’industrie, l’agriculture… nécessaire à la création de l’emploi, et à la
création de valeur.
Une politique monétaire sous contrôle
Une
inflation d’origine non monétaire
En
vérité, le principal objectif des banques centrales de la zone franc est la
défense du taux de change entre le franc CFA et l’euro pour permettre à la
France de se maintenir sur la scène internationale. La France serait la 14e
économie mondiale, si elle n’avait pas la mainmise sur les
« colonies » via la monnaie CFA[12]. « L’inflation
est toujours et partout un phénomène exclusivement monétaire»[13],
disait le chef de file du courant monétariste. Cette théorie se heurte à la
réalité de la zone franc, dont l’inflation n’est pas d’origine monétaire. Cela revient à dire, l’euro en faisant du CFA
une monnaie forte semble favoriser les exportations de la zone. Or une monnaie
forte s’apprécie par un niveau qui résulte de facteurs comme la puissance
industrielle ou la puissance commerciale de l’économie. Il se trouve que dans
cette zone, rien ne justifie une telle position et, les seules exportations
portent sur les matières premières dont les prix sont décidés sur les marchés
internationaux, de ce qu’on appelle par les « termes d’échange », et une
demande inélastique. En fin de compte, les entrées sont limitées. A l’inverse
en important les produits manufacturés, les pays de la zone se heurtent à une
double difficulté : (i) subir les coûts liés aux mouvements internationaux
tel est le cas avec le conflit russo-ukrainien, (ii) laisser une grande partie
de leurs devises. Ce qui génère des balances commerciales structurellement
déficitaires…
Un
mirage abscons appelé « arrimage »
En conclusion, à l’heure où les unions se désunissent, les blocs se disloquent, les territoires cédés se reconquiert à coup de force ; à l’heure où le seigneur perd ses repères diplomatiques et stratégiques, et ses sous-préfets émettent des regrets cachés…la zone franc doit sortir du mutisme afin de rompre avec le cordon ombilical monétaire. Cette seule perspective suffit pour libérer toute perspective de développement et de progrès social. Autrement dit, la souveraineté monétaire est une nécessité pour parachever l’indépendance politique et renforcer les bases d’une transformation structurelle de leurs économies[21]. En effet, nulle part ailleurs on a vu un pays se développer avec une monnaie contrôlée par un autre pays. Il faut expliquer à la jeunesse, et capitaliser sur le dividende humain qui fait sa force cette jeunesse, dont les maux sont en partie étroitement liés à l’hégémonie et à la dépendance financière occasionnée par une politique monétaire contrôlée, et une politique budgétaire procyclique. En effet, depuis les politiques d’ajustement structurels préconisés par le Bretton Wood, il n’y a plus de politique de relance économique. L’austérité est un piège parce qu’on n’en sort jamais.
2La Zone monétaire
escudo, créée en 1926, regroupait l’Espagne et le Portugal et toutes ses
colonies
3La Zone sterling,
créée en 1931, comprenait la Grande Bretagne et toutes ses colonies.
4https://blogs.worldbank.org/ … Si le
taux de pauvreté a diminué, passant de 56 % en 1990 à 40 % en 2018, le nombre
de pauvres continue d'augmenter. En d'autres termes, le taux de pauvreté en
Afrique subsaharienne n'a pas baissé assez rapidement pour suivre la croissance
démographique de la région et on estime que 433 millions d'Africains vivent
dans l'extrême pauvreté en 2018, contre 284 en 1990.
5 Débat relancé depuis
quelques années et porté par l’économiste Kako NUBUKPO
6 Sa dénomination
originelle fut "franc des colonies françaises d'Afrique"
7On note 8 pays pour la
zone UEMOA, 6 pays pour la zone CEMAC et enfin les Comores.
8 Multinationales
Corporation pour Firmes multinationales
9Le cartel des banques
françaises qui s’entendait sur les taux de sortie -taux débiteurs, taux
créditeurs- adoptant ainsi un comportement de collusion.
10Plus royaliste que le
roi, l’UEMOA applique un taux seuil d’inflation de 2% et son compère CEMAC de
3%
11Le
Taux d’Intérêt d’Appel d’Offre de la BEAC analysée de 2012 à 2022 ressortait en
moyenne à 4%. Il en ressort qu’à certaines périodes, il s’est établi une
relation inverse entre taux directeur et masse monétaire.
12Propos de Giorgia Meloni,
Première Ministre d’Italie. Quoique cela reste à relativiser, il n’en demeure
pas moins que l’euphorie de ce propos traduit un aveu de l’impuissance d’un
allié.
13Milton Friedman, 1968 « Inflation et
système monétaire »
14-13 des 15 pays sont considérés
comme Pays Pauvres Très Endettés selon la formule consacrée du FMI
15Union Européenne.
16Le triangle
d’incompatibilité de Mundell est un principe développé par Robert Mundell et
Marcus Fleming dans les années 1960 (« A Theory of Optimum Currency Area »,
American EconomicReview, 1961)
17NUBUKPO K. (2019) L’urgence
africaine changeons le modèle de croissance« La découvertes des
enjeux du franc CFA à la BCEAO » (p. 140-142)
18Dans les nouvelles
réformes introduites dont découlent les nouveaux statuts. Cas de la BEAC de
1997.
19Joseph
TchoundjangPouemi, Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire
de l’Afrique (1981)
20NUBUKPO K. (2007), « politique monétaire
et servitude volontaire. La gestion du franc CFA par la BCEAO », Politique
africaine, 105, p ; 70-82.
21Demba Moussa D. (2016) « De la nécessité de la souveraineté monétaire dans les pays africains de la zone franc »