Entretien avec M. Léonce GBÉDJÉ, Senior Manager au département conseil chez Deloitte - Côte d’Ivoire.

          « Les technologies digitales jouent un rôle            essentiel dans le développement du continent »


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Dans cette entrevue exclusive, nous avons eu l'occasion de discuter avec Léonce GBEDJE, Senior Manager au département conseil chez Deloitte Côte d’Ivoire. Avec plus de 16 années d'expérience diversifiée et un engagement profond pour l'innovation et l'adaptation dans un monde en constante évolution, Léonce partage ses points de vue éclairés sur la transformation digitale en Afrique. Il aborde les opportunités, les défis, les avancées technologiques cruciales et le rôle du digital dans le développement durable. En outre, il apporte un regard perspicace sur l'avenir du numérique en Afrique et son impact sur l'économie du continent. Préparez-vous à plonger dans un échange passionnant qui met en lumière le potentiel numérique de l'Afrique et sa trajectoire pour les cinq prochaines années.

Entretien réalisé par : Youcef MAALLEMI (maallemi-youcef@lecourrierdafrique54.com)

 Le Courier d’Afrique 54 : Monsieur Léonce Gbédjé, bonjour, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Léonce GBEDJE : Bien sûr. Je suis Léonce GBEDJE et je suis actuellement Senior Manager au département conseil chez Deloitte Côte d’Ivoire. J'ai eu le privilège de consacrer plus de 16 ans de ma carrière à des secteurs aussi divers que sont l'eau, l'électricité, la téléphonie et la banque-assurance. Ma passion pour la résolution de problèmes et la transformation m'a amené à piloter divers projets importants, notamment des projets de fiabilisation et de migration de données, l'élaboration de gouvernance SI, l'implémentation de solutions de helpdesk, le développement d'applications web et mobiles et la mise en place de gouvernances de projets impliquant de multiples parties prenantes. J'ai également travaillé sur l'automatisation de processus métiers, l'élaboration de tableaux de bord métier et j'ai accordé une attention particulière à la conception de l'expérience client et des parcours clients. En tant que chef de programme, j'ai contribué à l'élaboration et au pilotage de plan de transformation digitale. Je crois fermement que nous vivons dans un monde en constante évolution et qu'il est impératif pour nous d'innover et de nous adapter pour rester compétitif. C'est cette conviction qui me motive à accompagner les entreprises ivoiriennes et africaines dans leur parcours de transformation digitale. C'est un réel plaisir pour moi de partager quelques aspects de mon travail et de mes réflexions avec vous tous aujourd'hui.

Comment se porte le secteur de numérique et de transformation digitale en Afrique ? Et quel regard portez-vous sur l’évolution de ces secteurs?

De mon point de vue, le secteur du numérique en Afrique se porte très bien et connaît une croissance dynamique. L'Afrique vous savez, est une terre d'opportunités et d'innovation et nous voyons un certain nombre de tendances positives dans ce domaine. L'augmentation de la connectivité, la baisse des coûts d'accès à Internet et l'explosion de l'usage des smartphones commencent à ouvrir la voie à une révolution numérique sur le continent. Et la transformation digitale, particulièrement, est devenue une priorité stratégique pour de nombreuses entreprises africaines. Ces entreprises comprennent que pour rester compétitives dans l'économie mondiale actuelle, elles doivent adopter ces technologies numériques pour améliorer leurs opérations, leur engagement client et leur capacité à innover. Pour ce qui est de l'évolution dans ce secteur je penses qu’elle est très encourageante. Nous voyons par exemple un nombre croissant d'entreprises africaines adopter des technologies telles que l'IA, le Big Data et le Cloud Computing pour transformer leurs activités. L'écosystème des start-ups en Afrique est par ailleurs en plein essor, avec des entrepreneurs africains qui créent des solutions innovantes pour résoudre des problèmes locaux. Il reste encore beaucoup à faire. Les défis tels que l'accès limité à l'Internet à haut débit ainsi que le manque de compétences numériques et le manque d'infrastructures de base peuvent freiner le développement du numérique en Afrique. Je reste cependant très optimiste quant à l'avenir du numérique et de la transformation digitale en Afrique. Avec le bon soutien et les bonnes politiques, je suis convaincu que l'Afrique peut non seulement rattraper son retard, mais aussi devenir un leader dans l'économie numérique mondiale.

Selon vous, quelles sont les grandes technologies qui font la transformation digitale ?


Il existe plusieurs technologies clés qui constituent une base pour toute transformation digitale. Parmi celle que nous observons aujourd’hui, il y a par exemple le cloud computing. C’est une technologie qui offre aujourd’hui aux entreprises la flexibilité et la sociabilité nécessaire pour stocker, traiter et analyser de grandes quantités de données. C’est une technologie qui permet également aux entreprises de réduire leurs coûts en évitant des dépenses coûteuses en infrastructures. Il y a aussi le Big Data qui permet aujourd’hui aux entreprises de gérer d’énormes quantités de données. Il leur permet également de collecter, d’analyser et d’exploiter une grande quantité d’informations permettant d’obtenir de précieux insight sur leurs opérations et leurs clients. Une troisième technologie qui à mon sens est indispensable à la transformation digitale, c’est l’internet des objets (IoT). Cette technologie aujourd’hui permet de connecter les appareils physiques à internet ce qui favorise grandement une communication et une constante interaction ouvrant ainsi la porte à de nombreuses possibilités notamment en matière de surveillance à distance, de maintenance prédictive et de service de personnalisés. Les dernières technologies que je pourrai citer sont l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique. Ces technologies aident aujourd’hui les entreprises à automatiser leurs processus, à prendre des décisions basées sur des données et à fournir des services personnalisés à leurs clients. Ces technologies, combinées à une solide stratégie et à une adoption organisationnelle, sont pour moi les moteurs de la transformation digitale car elles aident les entreprises à rester compétitives dans l'économie numérique d'aujourd'hui.

C’est quoi réellement une économie numérique ?

L'économie numérique est je dirai un modèle économique né de la révolution des technologies de l'information. Et trois éléments fondamentaux la caractérisent se sont la donnée, internet et l'intelligence artificielle. Je m’explique. L'économie numérique est avant tout une économie de données. Aujourd’hui, nous utilisons massivement des données obtenues en temps réel dans diverses activités économiques telles que la consommation, le financement, la production et les ventes. Cela peut aller des données comportementales aux données de transactions et de communication. L’économie numérique est aussi une économie de mise en réseau, avec internet comme vecteur de base. C’est une économie qui favorise la libre circulation des données, des informations et des connaissances utiles entre différents acteurs. Cette mise en réseau permet aux différents acteurs de se connecter de manière transparente et d'interagir via internet, le mobile, l'IoT ou tout autre support, ce qui transforme considérablement les relations et les techniques de production traditionnelles. L'économie numérique c’est enfin de mon point de vue, une économie intelligente. Aujourd’hui l'intelligence artificielle a augmenté considérablement les capacités de traitement et d'exploitation des données, améliorant ainsi la productivité dans certaines activités économiques et stimulant également l'innovation et la fourniture de services intelligents dans divers domaines. De ces trois caractéristiques, on peut résumer l’économie numérique comme étant l'industrialisation du numérique pour la numérisation des industries de l'économie traditionnelle. En d’autres mots, il s'agit de la diffusion et de l'application d'une nouvelle génération de technologies de l'information dans toutes les activités économiques, créant ainsi de nouveaux modèles d'affaires et une série de nouvelles activités caractérisées par l'utilisation de la donnée.

Quelle problématique courante rencontre une entreprise face à la digitalisation ?

La digitalisation représente un formidable levier de croissance pour les entreprises, mais elle vient aussi avec son lot de défis. L'un des problèmes les plus courants que rencontrent les entreprises face à la digitalisation est la résistance au changement. En effet, l'adoption de nouvelles technologies implique souvent une modification significative des processus métiers et cela peut créer de l'insécurité ou de l'inconfort parmi les employés. De plus, la rapidité de l'évolution des technologies peut engendrer pour les entreprises des difficultés à se maintenir à jour. Les technologies deviennent très vite obsolètes, et les entreprises doivent investir du temps et des ressources pour évaluer et intégrer de nouvelles solutions. Il y a en suite le défi de la sécurité des données. Avec la digitalisation, les entreprises sont de plus en plus dépendantes des données pour leurs opérations, ce qui augmente les risques de violations de sécurité et de cyberattaques. Enfin, la mise en œuvre effective d'une stratégie de digitalisation nécessite une compréhension approfondie des technologies, et des compétences peuvent faire défaut dans certaines entreprises. Les compétences numériques sont de plus en plus demandées et les entreprises peuvent avoir du mal à recruter et à retenir des talents dans ce domaine. Il est donc crucial pour toute entreprise de mettre en place des stratégies efficaces pour surmonter ces défis, notamment en investissant dans la formation et le développement des compétences, en adoptant une culture d'innovation et de flexibilité, et en mettant en place des mesures de sécurité solides.

Quel rôle jouent les technologies digitales dans le développement durable de l'Afrique ?

Les technologies digitales jouent un rôle essentiel dans le développement du continent. Elles permettent d’abord d'accélérer l'inclusion financière. Grâce à des services tels que le mobile money, un grand nombre d'Africains qui n'avaient pas accès aux services bancaires traditionnels peuvent maintenant effectuer des transactions financières, ce qui favorise l'entrepreneuriat et stimule la croissance économique. Les technologies digitales sont également au cœur de la révolution agricole en Afrique. Les applications mobiles par exemple permettent aux agriculteurs d'accéder à des informations en temps réel sur les prix des marchés, la météo, et de bénéficier de conseils agronomiques. Cela peut aider à augmenter les rendements agricoles, réduire les pertes après récolte et améliorer la sécurité alimentaire. De plus, ces technologies favorisent l'éducation et la formation. Grâce aux elearning par exemple, les étudiants africains peuvent accéder à une éducation de qualité même dans des régions reculées et cela favorise l'égalité des chances et peut contribuer à combler le fossé des compétences en Afrique. Les technologies digitales jouent également un rôle important dans la santé. Aujourd’hui, des applications mobiles permettent de suivre et de contrôler la propagation des maladies, tandis que la télémédecine permet de fournir des soins médicaux à des personnes qui vivent dans des régions éloignées des centres de santé. Je peux m’arrêter là et affirmer que le digital est un puissant levier pour le développement durable en Afrique. Mais pour profiter pleinement de ces opportunités il est crucial de surmonter certains défis, comme l'accès limité à internet, le manque de compétences numériques et les problèmes de réglementation.

Le continent africain continue d'être à la traîne des autres régions sur les questions d'accès, de coût et d'usage des TIC, selon vous, est-ce que c’est à cause au manque des plateformes, de standardisation des données et la faiblesse de la connectivité et des partenariats. ?

Le continent africain en effet fait face à plusieurs défis en matière d'accès et d'usage des technologies numériques. Ces défis sont multiples et complexes, mais ils sont surmontables avec une forte volonté politique, des investissements appropriés et des partenariats stratégiques. Le manque de plateformes et la standardisation des données sont effectivement des problèmes. Par exemple, dans de nombreux pays africains, il existe une multitude de systèmes d'information isolés, qui ne communiquent pas entre eux. Cela rend difficile la collecte, l'analyse et l'utilisation efficace des données pour prendre des décisions éclairées. La faiblesse de la connectivité est également un enjeu majeur. Bien que l'accès à Internet se soit amélioré dans certaines parties du continent, de nombreuses régions, en particulier rurales, restent déconnectées. De plus, lorsque l'accès est disponible, il est souvent trop cher pour la majorité des populations. Quant aux partenariats, ils sont essentiels pour surmonter ces défis. Aucun acteur, qu'il soit gouvernemental, privé ou non gouvernemental, ne peut résoudre ces problèmes seul. Nous avons besoin de collaborations à tous les niveaux pour développer l'infrastructure nécessaire, former les populations aux compétences numériques, et créer un environnement réglementaire favorable. Donc, pour répondre à votre question, oui, le manque de plateformes, la standardisation des données, la faiblesse de la connectivité et le manque de partenariats sont des défis majeurs pour le développement des TIC en Afrique. Mais je reste optimiste. Avec la volonté politique, des investissements appropriés et des partenariats stratégiques, nous pouvons surmonter ces défis et faire de l'Afrique un acteur majeur de l'économie numérique mondiale.

Quels défis doivent être relevés pour que l'Afrique puisse tirer pleinement parti des avantages de l'ère numérique ?

Pour que l'Afrique puisse pleinement bénéficier de l'ère numérique, plusieurs défis majeurs doivent être relevés. Premièrement, nous devons travailler à l'amélioration de l'infrastructure numérique sur le continent. Cela comprend l'augmentation de l'accès à l'internet haut débit, qui est un prérequis fondamental pour la plupart des technologies numériques. C'est un enjeu crucial, particulièrement dans les régions rurales et isolées où l'accès à internet reste limité. Il y a ensuite la question de l'alphabétisation numérique. Pour que les populations et les entreprises puissent tirer profit des opportunités offertes par le numérique, elles doivent disposer des compétences nécessaires pour utiliser ces outils. Nous devons donc investir dans la formation et l'éducation pour améliorer les compétences numériques de la population africaine. Il faut également aborder la question de la régulation. Le développement du numérique doit être accompagné par un cadre réglementaire qui protège les utilisateurs et favorise l'innovation. Les gouvernements ont ici un rôle essentiel à jouer pour assurer un environnement numérique sûr et équitable. Il y a enfin la question de l'innovation. Aujourd’hui, pour tirer le meilleur parti de l'ère numérique, l'Afrique doit non seulement adopter les technologies existantes, mais aussi développer ses propres solutions adaptées à ses besoins spécifiques. Cela implique de soutenir les entrepreneurs et les startups, et de créer un environnement qui favorise l'innovation. Nos défis soient nombreux, mais je suis convaincu que l'Afrique a le potentiel pour non seulement s'adapter à l'ère numérique, mais aussi pour en devenir un acteur majeur. Cela nécessite des efforts concertés de tous les acteurs, incluant les gouvernements, le secteur privé, et la société civile. Et je suis confiant que nous avons la volonté et la capacité de relever ces défis.

Selon vous, quelles sont les raisons qui justifient des faiblesses dans la maitrise d’ouvrage des projets IT en Afrique ?

Eh bien, il y a plusieurs facteurs qui peuvent le justifier. Il y a d’abord la question de la compétence technique. Les projets IT nécessitent un certain niveau d'expertise en technologie de l'information, et malheureusement, il peut y avoir un manque de personnel qualifié dans ce domaine. Cette lacune peut être due à un manque de formation ou d'éducation dans les compétences techniques nécessaires, ou simplement à une pénurie de talents dans le secteur de la technologie. Il y a aussi la question des ressources. Les projets IT peuvent être coûteux, et si les entreprises ou les organisations n'ont pas suffisamment de fonds pour investir dans ces projets, cela peut entraver leur capacité à les mener à bien. Cela comprend non seulement l'investissement initial dans la technologie elle-même, mais aussi le coût continu de la maintenance et de la mise à jour de cette technologie. Il y a également la question de la gestion de projet. La maîtrise d'ouvrage des projets IT nécessite une planification, une coordination et une communication efficaces. Si ces compétences de gestion de projet font défaut, cela peut conduire à des retards, à des dépassements de budget et à d'autres problèmes. Enfin, il y a la question de l'environnement réglementaire. Dans certains cas, les réglementations gouvernementales peuvent entraver la mise en œuvre de certains projets IT. Par exemple, il peut y avoir des restrictions sur l'utilisation de certaines technologies, ou des exigences en matière de conformité qui peuvent être difficiles à satisfaire. Tout cela dit, je tiens à souligner que malgré ces défis, il y a aussi beaucoup d'opportunités dans le secteur de la technologie en Afrique. Avec la bonne formation, le bon investissement et le bon soutien, je suis convaincu que nous pouvons surmonter ces obstacles et réaliser le potentiel complet des projets IT sur le continent.

Pour terminer, comment envisagez-vous l’Afrique numérique dans les cinq prochaines années à venir?

Je suis très optimiste quant à l'avenir de l'Afrique numérique. Je pense que dans les cinq prochaines années, nous allons voir une transformation considérable grâce au potentiel des technologies numériques. Je m'attends d’abord à ce que l'accès à internet soit plus répandu. Avec des initiatives telles que la mise en place de réseaux à large bande et l'augmentation de l'utilisation des smartphones, de plus en plus de personnes auront accès à des services numériques. Cela aura un impact sur tous les aspects de la vie, de l'éducation à la santé, en passant par l'agriculture et le commerce. Je pense également que nous verrons une augmentation de l'innovation locale. Nous avons en tant qu’africains prouvé maintes fois notre capacité à innover et à adapter les technologies pour répondre à nos besoins spécifiques. Dans les cinq prochaines années, je pense que nous verrons une floraison de nouvelles startups et de nouvelles solutions numériques créées en Afrique pour l'Afrique. Je m'attends également à ce que la numérisation joue un rôle clé dans le développement économique. Que ce soit par le biais du commerce électronique, de la technologie financière ou de la technologie agricole, les technologies numériques ont le potentiel de stimuler notre croissance économique et de favoriser la création de nouveaux emplois. Je pense enfin que nous verrons une augmentation de l'utilisation des technologies numériques dans nos services publics. Que ce soit pour l'enregistrement des naissances, la fourniture de soins de santé ou l'enseignement à distance, les technologies numériques pourront aider à améliorer l'efficacité et la portée des services publics. L’avenir de l'Afrique numérique sera rayonnant. Il y a certainement des défis à relever, mais je suis convaincu que si nous travaillons ensemble, nous pouvons faire de la vision d'une Afrique numérique une réalité.

 

 

 

 

 


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