Tetiana Zhukova, responsable du plaidoyer international au Centre des droits de l'homme ZMINA

« Je me consacre principalement à la sensibilisation aux violations documentées et à la défense de la responsabilité et de la libération des milliers de civils détenus en Russie »



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Par : Youcef MAALLEMI (maallemi-youcef@lecourrierdafrique54.com)


Le Courrier d’Afrique 54: Bonjour, Tetiana Zhukova pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Tetiana Zhukova: Bonjour, merci pour l'opportunité. Je suis Tetiana Zhukova, responsable du plaidoyer international au Centre des droits de l'homme ZMINA , une organisation non gouvernementale ukrainienne fondée en 2012. ZMINA est membre de la Coalition Ukraine 5 AM, qui fédère les efforts de la société civile pour documenter les crimes internationaux. Mon organisation travaille notamment à la documentation de la torture, des disparitions forcées, des expulsions et des persécutions. Je me consacre principalement à la sensibilisation aux violations documentées et à la défense de la responsabilité et de la libération des milliers de civils détenus en Russie. En tant que responsable du plaidoyer international chez ZMINA, je coordonne nos actions avec nos partenaires internationaux, je collabore avec des institutions telles que l'ONU, l'UE et l'OSCE, et je veille à ce que la voix des victimes de violations des droits humains, notamment dans les territoires occupés comme la Crimée, soit entendue sur la scène internationale.

Le Courrier d’Afrique 54: Vous avez récemment participé à la conférence Helsinki +50, qui s'est tenue à Helsinki, la capitale finlandaise, le 31 juillet. Quels ont été les moments forts de cette conférence ?

Tetiana Zhukova: La Conférence Helsinki+50 a marqué le 50e anniversaire de l’Acte final d’Helsinki, qui a jeté les bases du dialogue Est-Ouest pendant la guerre froide et reste au cœur de l’approche de l’OSCE en matière de sécurité, mettant l’accent sur le respect de la souveraineté, des droits de l’homme et de la coopération. La conférence a réuni le Président finlandais, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, le Secrétaire général de l'OSCE et d'autres hauts fonctionnaires, diplomates et représentants de la société civile d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Asie centrale. Dans leurs discours, on pouvait entendre la joie suscitée par le cinquantième anniversaire de la loi, mêlée à l'appel aux réformes, suscité par les défis non résolus dans la région. Nous avons utilisé cette plateforme pour rappeler l’un de ces défis : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a commencé en 2014 à partir de la péninsule de Crimée et est restée largement sans réponse, ce qui a conduit à une agression plus large.


Le Courrier d’Afrique 54: Quels sont les principaux axes de l’OSCE contre l’invasion russe de l’Ukraine ?

Tetiana Zhukova: L'OSCE a pris plusieurs mesures, bien que ses capacités aient été mises à mal par l'obstruction russe. Elle a lancé le mécanisme de documentation des crimes internationaux, notamment la déportation de milliers d'enfants ukrainiens vers la Russie, la détention illégale de civils ukrainiens dans les territoires occupés et la torture de prisonniers de guerre ukrainiens. L'Assemblée parlementaire de l'OSCE et des diplomates de divers pays a adopté des résolutions et des déclarations condamnant l'invasion et appelant à soutenir l'Ukraine. Enfin, la Mission spéciale d'observation de l'OSCE, qui a opéré en Ukraine jusqu'à sa fermeture forcée par la Russie, a joué un rôle crucial dans la documentation des événements sur le terrain. Cependant, en 2022, les Russes ont arrêté trois fonctionnaires de l'OSCE travaillant pour cette mission, Dmytro Shabanov, Maksym Petrov et Vadym Golda, et les ont condamnés à 13-14 ans de détention pour le simple fait d'avoir révélé la vérité. Ils sont toujours incarcérés dans les prisons russes, et l'OSCE est incapable de libérer ses propres fonctionnaires. Il est donc impératif de réformer les structures de l'OSCE afin d'éviter toute paralysie future et d'améliorer sa réponse à de telles situations.

Le Courrier d’Afrique 54: Quelle est la situation des droits de l’homme à Sébastopol aujourd’hui ?

Tetiana Zhukova: Sébastopol, comme d'autres régions de Crimée occupée, reste soumise à de sévères restrictions, les libertés fondamentales étant restreintes et les civils vivant sous une menace constante. L'occupation se caractérise par une répression systémique, notamment les détentions arbitraires, l'assimilation forcée, l'endoctrinement et les discours de haine – des méthodes utilisées pour saper les droits et imposer un contrôle. Parmi les violations les plus courantes figurent les persécutions à motivation politique pour des positions pro-ukrainiennes, des activités journalistiques ou militantes, ainsi que pour des motifs religieux et ethniques. Nous connaissons plus de 220 prisonniers politiques de Crimée, âgés de 19 à 75 ans. La plupart sont des Tatars de Crimée, majoritairement musulmans. Les autorités d'occupation russes effectuent des perquisitions dans des domiciles privés, des lieux de travail et des mosquées sous prétexte de rechercher des documents « extrémistes » et d'autres preuves fabriquées. Les procès sont une parodie et les peines sévères, aboutissant fréquemment à des peines de 15 à 20 ans dans des colonies pénitentiaires. La majorité des prisonniers politiques sont déportés vers des établissements pénitentiaires en Fédération de Russie, à des milliers de kilomètres de leur domicile. Malgré ces conditions difficiles, une résistance pacifique persiste en Crimée occupée, tandis que des individus courageux continuent de défendre fermement leurs droits, leur identité et leur espoir de liberté.

Le Courrier d’Afrique 54: Crimée : 11 ans d’occupation – Rétablir la justice, renforcer les engagements de l’OSCE est le thème de votre intervention. Pourquoi avoir choisi ce slogan ?

Tetiana Zhukova: Ce thème met en lumière deux impératifs. Premièrement, il est essentiel de rétablir la justice – après plus d'une décennie d'occupation, nous devons exiger des comptes et veiller à ce que toutes les violations des droits humains et du droit international soient dûment traitées. Deuxièmement, il s'agit de renforcer les engagements de l'OSCE. L'organisation doit démontrer son soutien aux principes énoncés dans l'Acte final d'Helsinki. En renforçant ses institutions et en prenant des mesures concrètes concernant la Crimée, l'OSCE réaffirmera sa pertinence et son engagement en faveur d'un ordre international fondé sur des règles.

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