Oleksandra Matviichuk, avocate spécialisée dans les droits de l'homme.

 

« L'esprit des Accords d'Helsinki est plus que jamais d'actualité en cette période de turbulences »


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Par: Youcef MAALLEMI / Ahmed ABRI.


Le Courrier d’Afrique 54: Bonjour, Oleksandra Matviichuk, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

 

Oleksandra Matviichuk Je suis avocate spécialisée dans les droits de l'homme. J'applique le droit pour défendre les personnes et la dignité humaine depuis de nombreuses années. Enfant, à l'école, j'ai rencontré des dissidents soviétiques. Et soudain, je me suis retrouvée parmi des personnes très nobles. Des gens qui disaient ce qu'ils pensaient et faisaient ce qu'ils disaient. Des gens qui ont eu le courage de dénoncer l'ensemble de la machine totalitaire soviétique. Les dissidents ont été brutalement réprimés par le pouvoir soviétique. Certains ont été tués, d'autres emprisonnés dans les prisons soviétiques, d'autres encore soumis à un traitement psychologique forcé. Mais ils n'ont pas baissé les bras. Enfant, cet exemple m'a tellement impressionnée que j'ai décidé d'étudier le droit et de poursuivre ce combat pour la liberté et la dignité humaine.

 

Le Courrier d’Afrique 54: Dix-huit ans se sont écoulés depuis la création de votre Cercle des Libertés Vivantes. Que s'est-il passé pendant ces dix-huit années ?

 

Oleksandra Matviichuk Nous sommes passés d'un régime autoritaire pro-russe qui spoliait ses citoyens à une démocratie de transition. Cela signifie que nous nous sommes fixés de nouvelles missions. Nous devons désormais bâtir des institutions étatiques démocratiques stables pour créer une société où les droits de chacun sont protégés, où le gouvernement est responsable, où les tribunaux sont indépendants et où la police ne frappe pas les manifestants étudiants pacifiques. C'est difficile, même en temps de paix, mais nous devons le faire en temps de guerre.

Le Courrier d’Afrique 54: Vous avez récemment participé à la conférence Helsinki + 50, qui s'est tenue à Helsinki, la capitale finlandaise, le 31 juillet. Quels messages clés avez-vous retenus de cette conférence et quels sont les défis à venir en matière de paix et de démocratie dans le monde, notamment en Ukraine ?


Oleksandra Matviichuk Les générations européennes suivantes ont remplacé celles qui avaient survécu à la Seconde Guerre mondiale. Elles ont hérité de la démocratie de leurs grands-parents et ont commencé à la considérer comme acquise. Elles perçoivent la liberté comme un choix entre différents fromages au supermarché. Elles sont devenues des consommatrices de démocratie. Elles sont donc prêtes à échanger leur liberté contre des promesses populistes, des avantages économiques, l'illusion de la sécurité et, surtout, contre leur confort. L'esprit des Accords d'Helsinki est plus que jamais d'actualité en cette période de turbulences. Leur fondement reposait sur le lien indissociable entre sécurité, développement économique et droits de l'homme. Je suis convaincu que l'OSCE doit renaître pour répondre à la menace pour laquelle cette organisation a été créée.

Le Courrier d’Afrique 54: Quelles solutions proposez-vous pour promouvoir la démocratie et la liberté dans le monde ?


Oleksandra Matviichuk La démocratie était la solution ultime, nous avons donc cessé de la promouvoir. Personne n'explique aux gens que nous devons mener deux tâches en parallèle : protéger notre démocratie et la perfectionner. Car l'alternative à notre démocratie imparfaite est un régime autoritaire où l'espace de liberté est limité à la taille d'une cellule de prison.

Le Courrier d’Afrique 54: Avez-vous des projets ou des enjeux liés à la paix et à la démocratie avec d'autres associations, fondations ou organisations ?


Oleksandra Matviichuk La Russie est un empire. Un empire a un centre, mais pas de frontières. Un empire cherche toujours à s'étendre. Si nous ne parvenons pas à arrêter Poutine en Ukraine, il ira plus loin. C'est pourquoi les populations des autres pays européens ne sont en sécurité que parce que les Ukrainiens continuent de freiner l'offensive russe. Il serait donc logique que l'Europe prenne des mesures décisives pour arrêter Poutine, comme la confiscation des avoirs russes gelés. Il s'agit d'environ 300 milliards d'euros que la Banque centrale de Russie détenait sur des comptes dans les pays du G7 et de l'UE. Cet argent peut être utilisé pour la défense, la reconstruction, le redressement et l'indemnisation des victimes de crimes de guerre. Cependant, plus l'Europe tarde, plus le risque que ces avoirs ne profitent jamais à l'Ukraine ni à la sécurité européenne est élevé. La Hongrie ou un autre pays pourrait tout simplement bloquer la poursuite du gel des fonds russes au niveau de l'UE. Cela signifie que tout cet argent sera immédiatement restitué à l'agresseur. Ce serait l'investissement le plus important du G7 dans la machine de guerre russe.



Le Courrier d’Afrique 54: Le Centre pour les libertés civiles milite depuis mai 2025 pour la création d'un tribunal spécial chargé de juger Vladimir Poutine (Tribunal Poutine) pour le crime d'agression contre l'Ukraine. Où en êtes-vous avec ce projet ? Et quels sont les acteurs impliqués dans cette initiative ?

Oleksandra Matviichuk : Si nous voulons prévenir les guerres à l'avenir, nous devons punir les États et leurs dirigeants qui les déclenchent aujourd'hui. C'est une évidence. Mais dans toute l'histoire de l'humanité, nous n'avons qu'un seul précédent pour punir le crime d'agression : les procès de Nuremberg. Nous regardons encore le monde à travers le prisme de ces procès, où les criminels de guerre nazis n'ont été jugés qu'après la chute du régime nazi. Mais nous vivons dans un nouveau siècle. La justice ne devrait pas dépendre de la manière et du moment où la guerre prendra fin. La justice n'est pas un privilège réservé aux vainqueurs, mais un droit humain fondamental. L'approche globale des crimes contre la paix doit changer. Nous devons créer un tribunal spécial pour juger les plus hauts dirigeants politiques et le haut commandement militaire de l'État russe pour crime d'agression. L'accord historique sur un tribunal spécial a été signé en mai dans le cadre du Conseil de l'Europe. Il nous faut maintenant concrétiser cet accord.
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