Situation économique en Afrique face à la guerre Russo –Ukrainienne.
Par : Paul Francis Nathanaël TONYE. Juriste Expert et consultant en droit des Ressources Naturelles et du Développement Durable.
Alors que la Russie est un
État fédéral créé en 1922, Région historique et géographique de l'Europe
orientale comprenant les régions entre les Carpates et l'Oural. À la suite de
la chute du mur de Berlin, l’URSS s’est disloquée. D’ailleurs, en 2019 trois
ans avant le début de cette guerre, l'historien Pierre Rosset avait remis en
contexte sur RTL la portée de l’événement, symbole d'un moment où "L'on
avait l'impression que l'histoire s'accélérait" et qui marque le début de
l'effondrement de l'URSS. L’URSS était formée de 15 républiques socialistes
dont Ukraine et était le plus vaste État au monde. L’Ukraine, deuxième plus
grand Etat en termes de superficie sur le continent européen et indépendant
depuis le 24 août 1991, est très riche en ressources minières. Et dispose de
gisements de plus de 20 types de minerai rentables sur le plan économique. Elle
était traditionnellement considérée à tort ou à raison par les Russes comme la
« petite Russie » et était en harmonie avec la péninsule Crimée de 27 000 km2,
pays indépendant depuis le 5 mai 1992 qui a accepté d'être rattaché à l'Ukraine
au détriment de la Russie. Il faut savoir que Crimée est située dans le Sud de
l’Ukraine et à l'Ouest du kraï de Krasnodar en Russie, cette partie s'avance
dans la mer Noire qui offre un accès à la Méditerranée puis à l'océan mondial. C’est
donc une Mer noire hautement stratégique et convoitée par des puissances
rivales depuis des lustres. Dans le même temps, l’OTAN qui coopère avec
l’Ukraine, souhaite stabiliser la zone euro-atlantique en passant par une
Ukraine forte et indépendante. Alors que de front, certains États de la
Communauté euro-atlantique cherchent les voies d’un partenariat sans
complaisance avec la Russie. D’autres par contre font les yeux doux à l’OTAN.
Finalement, il nous semble que, c’est une guerre qui se situe entre les ambitions d’une Russie nostalgique et les manœuvres de l’OTAN dans cette zone aux enjeux stratégiques et écologiques. Selon Jean-Sylvestre MONGRENIER, dans (Sens et perspectives de la communauté Euro-Atlantique de l’ancien monde au nouvel Occident, Tribune n° 33 mars 2012) ,« au lendemain de la Guerre froide les États-Unis, l’Union européenne, l’OTAN et leurs États membres, l’Occident donc, se sont engagés dans une stratégie d’enlargement qui consiste à étendre les principes de la « démocratie de marché (démocratie libérale et économie de marché) dans les pays libérés de la domination soviétique».
Amélie Zima dans
L'OTAN(2023), pages 7 à 29, nous replonge dans les arguments fondateurs de
l'Alliance, Manfred Wörner, ancien secrétaire Général de l’alliance Atlantique
estime que, « l'OTAN n'est pas uniquement une alliance militaire mais une
organisation politique et une communauté de valeurs qui possède une identité
incarnée et institutionnalisée. Un système de croyances similaire est prégnant au sein de l'US Army ».
Les USA sont les premiers
donateurs Alors, que devons-nous comprendre de l’annonce du président américain
Joe Biden d’une augmentation de près d'un demi-milliard de dollars de l'aide
militaire américaine à l'Ukraine lors d'une visite surprise à Kiev en février
2023, cette somme s'ajoute ‘’aux milliards
que les États-Unis ont déjà dépensés dans le conflit qui oppose l'Ukraine à la
Russie. Le Congrès a alloué plus de 112 milliards de dollars pour la seule
année 2022’’. L’administration Joe Biden en ferait une affaire personnelle ?
Quand le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, sur BBC News, dit
espérer que les pertes subies par la Russie en Ukraine dissuaderont ses
dirigeants de répéter leurs actions ailleurs.
Bien que l’idée d'une
expansion de l'OTAN au-delà d'une Allemagne unie ne soit pas à l'ordre du jour
en 1989, en particulier dans la mesure où le Pacte de Varsovie ou instrument de
la guerre froide conclut le 14 mai 1955 et rompu par la décision de Mikhaïl
Gorbatchev d'instaurer "la doctrine Sinatra" en 1988, donnant l’occasion
aux membres du pacte de gérer leurs propres affaires internes, sans ingérence
d’une autorité unique émanant du pacte.
Autre chose, avec cette
guerre, la Russie qui a la mainmise sur certains gisements et son partenaire
Chinois, première consommatrice du fer et premier pollueur au monde, évitent un
duel dans leur « amitié pragmatique » ou « alliance stratégique ». Alors que
l’empire du milieu se contente de son modèle de coopération gagnant-gagnant
entre lui et l’Afrique au détriment des modèles économiques des Institutions de
Bretton Woods, la Russie quant à elle, reprend pied en Afrique qui, hélas paye
le plus lourd tribut des mauvais-modèles économiques à elle imposés, du
réchauffement climatique et de cette agaçante guerre qui imposera fatalement au
monde, une nouvelle configuration des rapports de forces. Alors que, la reine
Elisabeth II, de regrettée mémoire a déclaré : ils ont « construit un ensemble
d’institutions internationales afin que les horreurs de la guerre ne se
répètent jamais plus ».
Que peut l’Afrique quand la
géopolitique est dominée par la géoéconomie, globalisation et leurs
conséquences susceptibles d’affecter le système relationnel africain et son
organisation au niveau du concert des nations ? Washington a accueilli du 13 au
15 décembre 2022, le 2ème sommet États-Unis-Afrique. Les dirigeants de 49 pays
africains et de l’Union africaine ont été conviés pour parler sécurité,
énergie, économie, santé ou encore changement climatique, selon Eric Topona
dans le magazine l'Arbre à Palabres.
Quelques mois plus tard,
le 20 mars 2023, le président russe
Vladimir Poutine a affirmé accorder la "priorité" aux relations avec
les pays africains, Moscou étant à la recherche de nouveaux partenaires pour
faire face aux sanctions internationales pour cause de conflit en Ukraine.
"Notre pays est déterminé à poursuivre la construction d'un partenariat
stratégique au plein sens du terme avec nos amis africains, et nous sommes
prêts à façonner ensemble l'agenda mondial", dit-il. Soit dit en passant,
que pouvons-nous dire de cette opération de communication pour la diplomatie
chinoise et française ? Emmanuel Macron qui déclare que : ‘’la France et
l’Europe ne doivent pas se laisser entraîner dans l’escalade de la tension
entre les États-Unis et la Chine’’. Cette France qui fait tant de colère en
Afrique. La Russie a pris la présidence
du Conseil de sécurité de l'ONU, pour tout le mois d'avril 2023, quels ont été
les enjeux de cette présidence ? Allons donc savoir.
Après cette contexture,
nous pouvons aisément nous pencher sur la situation économique en Afrique face
à la guerre russo-ukrainienne, cette Afrique qui a déjà un problème
d’adaptation de son système alimentaire aux profonds dérèglements climatiques,
impératif majeur et corollaire des décès à cause de la faim dans les pays
africains plus qu’ailleurs. Ajouté à ce lourd fardeau, les perturbations des
chaînes d’approvisionnement alors même que l’Afrique a ses partenaires
stratégiques dans les camps, aussi bien dans la zone balte que du côté de
l’OTAN et de ses alliés.
Fort de cette réalité et à
la cacophonie des organisations, nous reprenons une fois de plus dans cette
tribune les mots de la reine Elisabeth II passée outre-tombe, ils ont «
construit un ensemble d’institutions internationales afin que les horreurs de la
guerre ne se répètent jamais plus ». La répercussion la plus évidente de la
guerre sur l’économie africaine est l'augmentation des prix, l'instabilité
financière la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires, en ce
qu’une grande partie des dépenses de consommation est vouée à la nourriture de
base et aux transports. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a mis en
garde contre "un ouragan de famines".
En effet, plusieurs pays
africains importent au moins 50 % de leur blé d'Ukraine ou de Russie. Lors
d’une conférence de presse en visioconférence, Antonio Guterres, secrétaire
général de l’ONU a en outre averti que « La guerre alimente une crise
tridimensionnelle alimentaire, énergétique et financière qui frappe les
personnes, les pays et les économies les plus vulnérables au monde ». A cette
suite, un rapport des Nations Unies indique que : « Plus de 70 % des économies africaines sont
gravement menacées par la guerre de la Russie en Ukraine. Selon, Commodafrica
dans sa livraison du 07 février 2023, «
la Russie devient leader du commerce de l’huile de tournesol au
détriment de l’Ukraine ».
Quand la Banque africaine
de développement, les agences spécialisées des Nations unies et les
institutions de financement du développement envisagent un plan pour stimuler
la production alimentaire en Afrique, que font les économies africaines trop
dépendantes du blé de la région balte ? ‘’Pauvre Afrique’’, stimulation de la
production alimentaire oui. Mais, face au réchauffement climatique, on allègue toujours
l’aide aux pays vulnérables, sauf que c’est de la redite, bref du déjà entendu. Est-il besoin de rappeler en
passant que, depuis la COP 21 (Paris), les pays vulnérables attendent toujours
que les fruits tiennent à la promesse des fleurs. Cette attitude des pays les
plus pollueurs hélas partenaires privilégiés de l’Afrique nous laisse pantois
et songeurs.
Conscients qu’un nouvel
ordre mondial est en gestation, stratégiquement, l'Afrique, l'Amérique latine
et la majorité des pays asiatiques n'ont pas adhéré aux sanctions imposées à la
Russie par la plupart des pays occidentaux. Courtisée, quand bien même elle ne
parle pas d’une seule voix, l’Afrique a choisi la voie de la « Realpolitik,
élément incontournable des relations internationales ». Pour citer Anil K.
Gayan dans revue internationale et stratégique.
Comme nous l’avons indiqué
l’année dernière à un de vos confrères, ce qui manque souvent aux économies
africaines, c’est le courage et la volonté politique. Si l’Afrique maintient sa
position de Realpolitik, face à la guerre Russo-Ukrainienne et change de
paradigme au niveau de sa gouvernance avec des stratégies proactives qui
amélioreraient la compétitivité, elle ne subira
plus le dictat de certains partenaires et celui des intermédiaires. Si
ces économies veulent améliorer leurs situations économiques, elles ne doivent
pas se borner à l’exportation des
matières premières brutes.
L’Afrique doit résolument
changer de cap économique et être plus indépendante vis-à-vis de ces grandes
puissances commerciales en diversifiant davantage son économie et en
transformant elle-même ses richesses tout en faisant la promotion de la
production locale par la création des usines de transformation des matières
premières en vue d’accroître ses richesses et son développement. L’Algérie est
à féliciter pour ses 45 000 hectares qui sont prévus pour être cultivés durant
la campagne 2023 de production de tournesol.
Mieux pour ne pas y laisser
trop de plumes, les économies africaines doivent instaurer un cadre politique macroéconomique
et les reformes structurelles, afin que cet ensemble donne de meilleurs
résultats économiques. Mais, il est surtout question de lutter activement
contre la corruption qui a une influence néfaste sur la vie économique et
sociale en Afrique affectant la
croissance et le développement économique des Etats. En Afrique subsaharienne,
cette gangrène prend la forme d’une course à l'enrichissement illicite au
détriment des populations.
Mais, selon la docteure en
droit Sophie Lemaître, dans le journal le monde, 19 septembre 2019, « On entend
encore trop souvent un discours consistant à dire que la corruption concerne
d’abord les pays en développement. Mais cette affaire, qui est globale, montre
bien comment une entreprise peut tirer profit de chaque système juridique,
financier, bancaire. Et ce, pour mettre au point un montage opaque permettant
de dissimuler des opérations minières et pétrolières douteuses, des versements
de pots-de-vin, mais aussi d’éviter de payer des taxes ».
La guerre Russo-Ukrainienne
étant aussi une guerre de positionnement stratégique, l’Afrique et ses
partenaires privilégiés doivent suivre l'Organisation internationale de
normalisation qui estime que, la transparence et la confiance sont les pierres
angulaires sur lesquelles repose la crédibilité de toute organisation. C’est
pourquoi ISO 37001 est incontournable pour les institutions efficaces et les
entreprises équitables qui ne veulent pas être sérieusement discréditées par la
corruption.
L’économie du continent est
donc fragilisée par la baisse du prix du pétrole et de nombreux minerais. Elle
reste dépendante de l’exportation de produits à faible valeur ajoutée comme
certains produits agricoles. Les services comme la santé, l’énergie ou le
transport restent déplorables comme nous le disions plus haut. Ce contexte est
éminemment favorable pour les pays émergents par leur offensive économique.
Pour illustrer cette posture, nous pouvons reprendre Inès Trépant (Dans
Courrier hebdomadaire du CRISP 2008/6-7 (n° 1991-1992), pages 6 à54) (…) En
effet, l’apparition de firmes organisées sur une base mondiale permet de mettre
en contact direct producteurs et consommateurs d’un nombre croissant de biens
et de services à cette échelle. Elle s’accompagne d’un essor spectaculaire des
pratiques de délocalisation, qui remet en question la division internationale
du travail traditionnelle. Bref, il y a dans la montée en puissance des pays
émergents tous les ingrédients d’un bouleversement géopolitique (…).
Selon les Avocats Dusan Knezevic & Elisée Chazal,
dans CHRONIQUES JURIDIQUES ET FISCALES (Conséquences du conflit russo-ukrainien
sur l’exécution des contrats soumis au droit français ou au droit suisse) ‘’La
question de savoir si le conflit russo-ukrainien peut être considéré comme un
événement de force majeure dépend essentiellement de la teneur du contrat en
question. Lorsque les clauses relatives à la force majeure, s’il en est,
mentionnent les "conflits armés" ou la "guerre", la
situation juridique est claire et les parties sont en droit de s'appuyer sur
lesdites clauses pour être exonérées, temporairement ou définitivement, de
leurs obligations contractuelles. Dans le cas contraire, la clause de force
majeure en question doit être interprétée (…) Les entreprises ayant des liens
directs ou indirects avec des opérateurs économiques présents sur les marchés
russe et ukrainien devraient examiner les contrats existants à la lumière des
sanctions’’.
En dernière analyse, cette
guerre devrait pouvoir donner l’occasion à l’Afrique qui a une croissance fragile
de réfléchir par elle-même, à la conception des solutions économiques avec une
inflation en hausse sur les prix de l'énergie et l'alimentaire, au lieu de
continuer à servir la
soupe à ses maîtres en
apposant sa signature à tous les traités scélérats qui handicapent son
évolution. Autrement, nous continuerons à pleurer. Pourtant, il ne s’agit de
rien d’autre que de traduire en actes notre amour pour notre terre et pour
notre avenir commun.