Contribution. Situation économique en Afrique face à la guerre Russo –Ukrainienne.

Situation économique en Afrique face à la guerre Russo –Ukrainienne.


351


On ne saurait parler de la situation économique en Afrique face à la guerre russo-ukrainienne, sans faire une brève illustration de cette région en conflit afin de comprendre les méandres de cet antagonisme qui enfreint aux lois du ‘’droit international humanitaire’’ au mépris de la Charte des Nations unies signée le 26 juin 1945.

Par : Paul Francis Nathanaël TONYE. Juriste Expert et consultant en droit des Ressources Naturelles et du Développement Durable.

Alors que la Russie est un État fédéral créé en 1922, Région historique et géographique de l'Europe orientale comprenant les régions entre les Carpates et l'Oural. À la suite de la chute du mur de Berlin, l’URSS s’est disloquée. D’ailleurs, en 2019 trois ans avant le début de cette guerre, l'historien Pierre Rosset avait remis en contexte sur RTL la portée de l’événement, symbole d'un moment où "L'on avait l'impression que l'histoire s'accélérait" et qui marque le début de l'effondrement de l'URSS. L’URSS était formée de 15 républiques socialistes dont Ukraine et était le plus vaste État au monde. L’Ukraine, deuxième plus grand Etat en termes de superficie sur le continent européen et indépendant depuis le 24 août 1991, est très riche en ressources minières. Et dispose de gisements de plus de 20 types de minerai rentables sur le plan économique. Elle était traditionnellement considérée à tort ou à raison par les Russes comme la « petite Russie » et était en harmonie avec la péninsule Crimée de 27 000 km2, pays indépendant depuis le 5 mai 1992 qui a accepté d'être rattaché à l'Ukraine au détriment de la Russie. Il faut savoir que Crimée est située dans le Sud de l’Ukraine et à l'Ouest du kraï de Krasnodar en Russie, cette partie s'avance dans la mer Noire qui offre un accès à la Méditerranée puis à l'océan mondial. C’est donc une Mer noire hautement stratégique et convoitée par des puissances rivales depuis des lustres. Dans le même temps, l’OTAN qui coopère avec l’Ukraine, souhaite stabiliser la zone euro-atlantique en passant par une Ukraine forte et indépendante. Alors que de front, certains États de la Communauté euro-atlantique cherchent les voies d’un partenariat sans complaisance avec la Russie. D’autres par contre  font les yeux doux à l’OTAN.

Finalement, il nous semble que, c’est une guerre qui se situe entre les ambitions d’une Russie nostalgique et les manœuvres de l’OTAN dans cette zone aux enjeux stratégiques et écologiques. Selon  Jean-Sylvestre MONGRENIER, dans (Sens et perspectives de la communauté Euro-Atlantique de l’ancien monde au nouvel Occident, Tribune n° 33 mars 2012) ,« au lendemain de la Guerre froide les États-Unis, l’Union européenne, l’OTAN et leurs États membres, l’Occident donc, se sont engagés dans une stratégie d’enlargement qui consiste à étendre les principes de la « démocratie de marché (démocratie libérale et économie de marché) dans les pays libérés de la domination soviétique».

Amélie Zima dans L'OTAN(2023), pages 7 à 29, nous replonge dans les arguments fondateurs de l'Alliance, Manfred Wörner, ancien secrétaire Général de l’alliance Atlantique estime que, « l'OTAN n'est pas uniquement une alliance militaire mais une organisation politique et une communauté de valeurs qui possède une identité incarnée et institutionnalisée. Un système de croyances similaire est  prégnant au sein de l'US Army ».

 


Les USA sont les premiers donateurs Alors, que devons-nous comprendre de l’annonce du président américain Joe Biden d’une augmentation de près d'un demi-milliard de dollars de l'aide militaire américaine à l'Ukraine lors d'une visite surprise à Kiev en février 2023, cette somme  s'ajoute ‘’aux milliards que les États-Unis ont déjà dépensés dans le conflit qui oppose l'Ukraine à la Russie. Le Congrès a alloué plus de 112 milliards de dollars pour la seule année 2022’’. L’administration Joe Biden en ferait une affaire personnelle ? Quand le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, sur BBC News, dit espérer que les pertes subies par la Russie en Ukraine dissuaderont ses dirigeants de répéter leurs actions ailleurs.

Bien que l’idée d'une expansion de l'OTAN au-delà d'une Allemagne unie ne soit pas à l'ordre du jour en 1989, en particulier dans la mesure où le Pacte de Varsovie ou instrument de la guerre froide conclut le 14 mai 1955 et rompu par la décision de Mikhaïl Gorbatchev d'instaurer "la doctrine Sinatra" en 1988, donnant l’occasion aux membres du pacte de gérer leurs propres affaires internes, sans ingérence d’une autorité unique émanant du pacte.

Autre chose, avec cette guerre, la Russie qui a la mainmise sur certains gisements et son partenaire Chinois, première consommatrice du fer et premier pollueur au monde, évitent un duel dans leur « amitié pragmatique » ou « alliance stratégique ». Alors que l’empire du milieu se contente de son modèle de coopération gagnant-gagnant entre lui et l’Afrique au détriment des modèles économiques des Institutions de Bretton Woods, la Russie quant à elle, reprend pied en Afrique qui, hélas paye le plus lourd tribut des mauvais-modèles économiques à elle imposés, du réchauffement climatique et de cette agaçante guerre qui imposera fatalement au monde, une nouvelle configuration des rapports de forces. Alors que, la reine Elisabeth II, de regrettée mémoire a déclaré : ils ont « construit un ensemble d’institutions internationales afin que les horreurs de la guerre ne se répètent jamais plus ».

Que peut l’Afrique quand la géopolitique est dominée par la géoéconomie, globalisation et leurs conséquences susceptibles d’affecter le système relationnel africain et son organisation au niveau du concert des nations ? Washington a accueilli du 13 au 15 décembre 2022, le 2ème sommet États-Unis-Afrique. Les dirigeants de 49 pays africains et de l’Union africaine ont été conviés pour parler sécurité, énergie, économie, santé ou encore changement climatique, selon Eric Topona dans le magazine l'Arbre à Palabres.

Quelques mois plus tard, le  20 mars 2023, le président russe Vladimir Poutine a affirmé accorder la "priorité" aux relations avec les pays africains, Moscou étant à la recherche de nouveaux partenaires pour faire face aux sanctions internationales pour cause de conflit en Ukraine. "Notre pays est déterminé à poursuivre la construction d'un partenariat stratégique au plein sens du terme avec nos amis africains, et nous sommes prêts à façonner ensemble l'agenda mondial", dit-il. Soit dit en passant, que pouvons-nous dire de cette opération de communication pour la diplomatie chinoise et française ? Emmanuel Macron qui déclare que : ‘’la France et l’Europe ne doivent pas se laisser entraîner dans l’escalade de la tension entre les États-Unis et la Chine’’. Cette France qui fait tant de colère en Afrique. La Russie a pris la  présidence du Conseil de sécurité de l'ONU, pour tout le mois d'avril 2023, quels ont été les enjeux de cette présidence ? Allons donc savoir.

Après cette contexture, nous pouvons aisément nous pencher sur la situation économique en Afrique face à la guerre russo-ukrainienne, cette Afrique qui a déjà un problème d’adaptation de son système alimentaire aux profonds dérèglements climatiques, impératif majeur et corollaire des décès à cause de la faim dans les pays africains plus qu’ailleurs. Ajouté à ce lourd fardeau, les perturbations des chaînes d’approvisionnement alors même que l’Afrique a ses partenaires stratégiques dans les camps, aussi bien dans la zone balte que du côté de l’OTAN et de ses alliés.

Fort de cette réalité et à la cacophonie des organisations, nous reprenons une fois de plus dans cette tribune les mots de la reine Elisabeth II passée outre-tombe, ils ont « construit un ensemble d’institutions internationales afin que les horreurs de la guerre ne se répètent jamais plus ». La répercussion la plus évidente de la guerre sur l’économie africaine est l'augmentation des prix, l'instabilité financière la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires, en ce qu’une grande partie des dépenses de consommation est vouée à la nourriture de base et aux transports. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a mis en garde contre "un ouragan de famines".

En effet, plusieurs pays africains importent au moins 50 % de leur blé d'Ukraine ou de Russie. Lors d’une conférence de presse en visioconférence, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU a en outre averti que « La guerre alimente une crise tridimensionnelle alimentaire, énergétique et financière qui frappe les personnes, les pays et les économies les plus vulnérables au monde ». A cette suite, un rapport des Nations Unies indique que : «  Plus de 70 % des économies africaines sont gravement menacées par la guerre de la Russie en Ukraine. Selon, Commodafrica dans sa livraison du 07 février 2023, «  la Russie devient leader du commerce de l’huile de tournesol au détriment de l’Ukraine ».

Quand la Banque africaine de développement, les agences spécialisées des Nations unies et les institutions de financement du développement envisagent un plan pour stimuler la production alimentaire en Afrique, que font les économies africaines trop dépendantes du blé de la région balte ? ‘’Pauvre Afrique’’, stimulation de la production alimentaire oui. Mais, face au réchauffement climatique, on allègue toujours l’aide aux pays vulnérables, sauf que c’est de la redite, bref  du déjà entendu. Est-il besoin de rappeler en passant que, depuis la COP 21 (Paris), les pays vulnérables attendent toujours que les fruits tiennent à la promesse des fleurs. Cette attitude des pays les plus pollueurs hélas partenaires privilégiés de l’Afrique nous laisse pantois et songeurs.


Conscients qu’un nouvel ordre mondial est en gestation, stratégiquement, l'Afrique, l'Amérique latine et la majorité des pays asiatiques n'ont pas adhéré aux sanctions imposées à la Russie par la plupart des pays occidentaux. Courtisée, quand bien même elle ne parle pas d’une seule voix, l’Afrique a choisi la voie de la « Realpolitik, élément incontournable des relations internationales ». Pour citer Anil K. Gayan dans revue internationale et stratégique.

Comme nous l’avons indiqué l’année dernière à un de vos confrères, ce qui manque souvent aux économies africaines, c’est le courage et la volonté politique. Si l’Afrique maintient sa position de Realpolitik, face à la guerre Russo-Ukrainienne et change de paradigme au niveau de sa gouvernance avec des stratégies proactives qui amélioreraient la compétitivité, elle ne subira  plus le dictat de certains partenaires et celui des intermédiaires. Si ces économies veulent améliorer leurs situations économiques, elles ne doivent pas se borner à l’exportation des  matières premières brutes.

L’Afrique doit résolument changer de cap économique et être plus indépendante vis-à-vis de ces grandes puissances commerciales en diversifiant davantage son économie et en transformant elle-même ses richesses tout en faisant la promotion de la production locale par la création des usines de transformation des matières premières en vue d’accroître ses richesses et son développement. L’Algérie est à féliciter pour ses 45 000 hectares qui sont prévus pour être cultivés durant la campagne 2023 de production de tournesol.

Mieux pour ne pas y laisser trop de plumes, les économies africaines doivent  instaurer un cadre politique macroéconomique et les reformes structurelles, afin que cet ensemble donne de meilleurs résultats économiques. Mais, il est surtout question de lutter activement contre la corruption qui a une influence néfaste sur la vie économique et sociale en Afrique affectant  la croissance et le développement économique des Etats. En Afrique subsaharienne, cette gangrène prend la forme d’une course à l'enrichissement illicite au détriment des populations.

Mais, selon la docteure en droit Sophie Lemaître, dans le journal le monde, 19 septembre 2019, « On entend encore trop souvent un discours consistant à dire que la corruption concerne d’abord les pays en développement. Mais cette affaire, qui est globale, montre bien comment une entreprise peut tirer profit de chaque système juridique, financier, bancaire. Et ce, pour mettre au point un montage opaque permettant de dissimuler des opérations minières et pétrolières douteuses, des versements de pots-de-vin, mais aussi d’éviter de payer des taxes ».

La guerre Russo-Ukrainienne étant aussi une guerre de positionnement stratégique, l’Afrique et ses partenaires privilégiés doivent suivre l'Organisation internationale de normalisation qui estime que, la transparence et la confiance sont les pierres angulaires sur lesquelles repose la crédibilité de toute organisation. C’est pourquoi ISO 37001 est incontournable pour les institutions efficaces et les entreprises équitables qui ne veulent pas être sérieusement discréditées par la corruption.

L’économie du continent est donc fragilisée par la baisse du prix du pétrole et de nombreux minerais. Elle reste dépendante de l’exportation de produits à faible valeur ajoutée comme certains produits agricoles. Les services comme la santé, l’énergie ou le transport restent déplorables comme nous le disions plus haut. Ce contexte est éminemment favorable pour les pays émergents par leur offensive économique. Pour illustrer cette posture, nous pouvons reprendre Inès Trépant (Dans Courrier hebdomadaire du CRISP 2008/6-7 (n° 1991-1992), pages 6 à54) (…) En effet, l’apparition de firmes organisées sur une base mondiale permet de mettre en contact direct producteurs et consommateurs d’un nombre croissant de biens et de services à cette échelle. Elle s’accompagne d’un essor spectaculaire des pratiques de délocalisation, qui remet en question la division internationale du travail traditionnelle. Bref, il y a dans la montée en puissance des pays émergents tous les ingrédients d’un bouleversement géopolitique (…).

Selon les  Avocats Dusan Knezevic & Elisée Chazal, dans CHRONIQUES JURIDIQUES ET FISCALES (Conséquences du conflit russo-ukrainien sur l’exécution des contrats soumis au droit français ou au droit suisse) ‘’La question de savoir si le conflit russo-ukrainien peut être considéré comme un événement de force majeure dépend essentiellement de la teneur du contrat en question. Lorsque les clauses relatives à la force majeure, s’il en est, mentionnent les "conflits armés" ou la "guerre", la situation juridique est claire et les parties sont en droit de s'appuyer sur lesdites clauses pour être exonérées, temporairement ou définitivement, de leurs obligations contractuelles. Dans le cas contraire, la clause de force majeure en question doit être interprétée (…) Les entreprises ayant des liens directs ou indirects avec des opérateurs économiques présents sur les marchés russe et ukrainien devraient examiner les contrats existants à la lumière des sanctions’’.

En dernière analyse, cette guerre devrait pouvoir donner l’occasion à l’Afrique qui a une croissance fragile de réfléchir par elle-même, à la conception des solutions économiques avec une inflation en hausse sur les prix de l'énergie et l'alimentaire, au lieu de continuer à servir la

soupe à ses maîtres en apposant sa signature à tous les traités scélérats qui handicapent son évolution. Autrement, nous continuerons à pleurer. Pourtant, il ne s’agit de rien d’autre que de traduire en actes notre amour pour notre terre et pour notre avenir commun.

 

 

 



Enregistrer un commentaire (0)
Plus récente Plus ancienne