Le Courrier d'Afrique

Entretien : M.Brahim Guendouzi, Professeur d’économie à l’Université de Tizi Ouzou.

 « Le financement des entreprises algériennes est basé essentiellement sur le crédit bancaire »


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Pr Brahim GUENDOUZI exerce les fonctions d’enseignant-chercheur à l’Université « Mouloud MAMMERI » de Tizi-Ouzou, où il a passé l’ensemble de sa carrière. En plus des activités pédagogiques et d’encadrement dans des formations doctorales, il est membre d’un laboratoire de recherche en tant que responsable d’une équipe de recherche.  Il a collaboré également à plusieurs études socio-économiques. Il a à son actif plusieurs publications sous forme d’articles dans des revues scientifiques nationales et internationales. Entretien

 

Entretien réalisé par : Youcef MAALLEMI (maallemi-youcef@lecourrierdafrique54.com)

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Comment se porte le secteur bancaire en Algérie actuellement ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : La place bancaire reste dominée par six banques publiques qui détiennent 86 % du total des actifs du système bancaire, jouant ainsi un rôle clé en contrôlant une part importante du marché. Une quinzaine de banques privées à capitaux étrangers, dont une à capitaux mixtes, y activent également. En termes de nombre d’agences, la place bancaire reste moyennement densifiée à travers le territoire national et la bancarisation des ménages étant relativement limitée. Ajouté à cela, les difficultés du système bancaire à drainer vers les circuits bancaires l’importante masse monétaire détenue par le secteur l’informel. Au demeurant, on y dénote le manque d’une dynamique d’ensemble en termes de management, de concurrence, d’offre de produits bancaires et financiers à la clientèle, de collecte de l’épargne, de financement des investissements et de conseils.


Le Courrier d’Afrique 54 : Un analyste financier algérien déclare que « le secteur bancaire est un des facteurs à l’origine de la faiblesse de la compétitivité des entreprises et de l’économie en général » partagez-vous son opinion ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : Le financement des entreprises algériennes est basé essentiellement sur le crédit bancaire, l’existence du marché financier étant juste symbolique. L’économie nationale est une économie d’endettement. Les banques publiques sont à la source de la quasi-totalité des crédits octroyés au secteur public. Ceci s’explique par le fait que les entreprises publiques ont décidé explicitement ou implicitement de domicilier leurs opérations auprès des établissements bancaires publics. Les crédits à long terme sont également le fait de ces banques qui se sont engagées fortement dans le financement des grands projets d’investissements publics particulièrement les infrastructures économiques. L’offre de crédit au secteur privé s’oriente largement sur des concours touchant le financement de l’exploitation des entreprises privées et non pas de l’investissement, alors qu’il est le moteur de la croissance économique. Le financement des PME à leur création est toujours difficile à obtenir auprès des banques. Les conditions d’octroi du crédit bancaire n’étant pas faciles à réunir pour les entreprises en phase de démarrage. D’où le faible accès au financement bancaire par les porteurs de nouveaux projets. D’autant plus que les banques exigent des garanties exorbitantes (hypothèque des bâtiments et terrains, nantissement des équipements, assurance-vie, etc.) et qu’un grand nombre d’investisseurs hésitent à les présenter pour se faire financer.

 

Le Courrier d’Afrique 54 : L’Algérie n’est pas encore engagée dans la digitalisation bancaire, pourquoi ce retard, selon vous ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : L’ouverture de l’écosystème à la digitalisation et aux paiements électroniques, a pris un énorme retard en Algérie et ce, à tous les niveaux. Les banques également n’ont pas pu aller au-devant pour imposer le digital dans leurs activités, malgré des efforts consentis par ci et par là pour investir dans ce domaine, et avec des résultats en deçà des espérances. D’ailleurs il a fallu beaucoup d’insistance de la part du président de la république pour faire accélérer la numérisation des activités économiques et administratives.  Aussi, la digitalisation reste un défi pour le secteur bancaire, et la révision de la loi sur la monnaie et le crédit (LMC) a pris en considération ce volet qui est en réalité stratégique pour l’évolution et l’adaptation des activités bancaires par rapport aux exigences de l’environnement national et international.

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Quelles sont, d’après vous, les retombées de l’implantation des banques étrangères sur le secteur bancaire algérien ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : Les banques privées orientent quasi exclusivement les crédits qu’elles octroient en faveur du seul secteur privé (entreprises et ménages). Les montants sont alloués fortement vers les opérations de court terme comme par exemple le financement du besoin en fonds de roulement des entreprises ainsi que des opérations de commerce extérieur. La dynamique concurrentielle et managériale que l’on s’attendait à ce qu’elle soit générée dans l’écosystème bancaire n’a pas eu lieu. C’est le système bancaire dans son ensemble et sa régulation qui y sont

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Le marché parallèle de la devise est l’un des principaux vecteurs du commerce informel en Algérie, et l’ouverture des bureaux de change s’éternise, quelles sont les raisons de ce « blocage » selon vous ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : Un contrôle des changes est en vigueur en Algérie puisque le dinar est uniquement convertible sur les transactions courantes, c'est-à-dire une convertibilité commerciale. La Banque d’Algérie a autorisé les banques commerciales à être des bureaux de change et à effectuer des opérations de change avec leur clientèle. L’ouverture d’autres bureaux de change dans d’autres espaces, en dehors des banques, est effectivement retardée même si un règlement de la Banque d’Algérie existe dans ce sens. Il est utile de signaler cependant que même si ces bureaux de change venaient à devenir opérationnels dans les semaines et mois à venir, les transactions de change qui vont s’opérer s’inscriront logiquement par rapport à l’application du contrôle des change en vigueur, même si en termes de marges (cours acheteur/cours vendeur) il pourrait y avoir une certaine flexibilité par rapport à ce qui se fait actuellement dans les banques commerciales. En revanche, les pratiques informelles relatives aux devises telles qu’elles s’effectuent au niveau de certaines villes du pays, à l’instar de celles du « square » à Alger », obéissent à une autre logique et sont tolérées pour l’instant par l’autorité monétaire. Il s’agit de ressources en devises obtenues par un autre canal alimenté généralement soit par les pensions de retraites versées en euros, soit par des membres de la communauté nationale établie à l’étranger. Ces ressources sont captées par des personnes opérant dans l’informel et agissant en intermédiaires pour une clientèle particulière composée essentiellement de voyageurs nationaux se rendant vers l’étranger et ne pouvant effectuer le change mis à part l’allocation touristique fixé annuellement et qui est de l’ordre de vingt mille dinars transférables. Des opérations illicites de transfert de devises, alimentées par ce marché, sont régulièrement mises en échec.

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Quels sont les créneaux demandeurs de financement bancaire ?


Pr Brahim GUENDOUZI : Le financement bancaire est souvent sollicité dans le cadre des investissements et lors de la création des entreprises. C’est à ce stade que les difficultés d’accès existent, particulièrement pour les PME, et les banques ne prennent pas de risques. Sinon, les projets s’inscrivant dans l’industrie manufacturière sollicitent souvent des crédits. Les grandes entreprises, à défaut d’investir, obtiennent régulièrement des crédits d’exploitation.

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Quelle est votre analyse sur la réforme de la loi sur la monnaie en Algérie ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : La révision de la loi sur la monnaie et le crédit (LMC) réitère tout d’abord les missions de la Banque d’Algérie en matière de stabilité des prix en tant qu’objectif de la politique monétaire, mais également de préserver la stabilité financière en s’assurant de la sécurité et de la solidité du système bancaire. Aussi est-il question de doter la Banque d’Algérie d’un mécanisme d’alerte et de gestion des crises grâce à la création d’un Comité de stabilisation financière, dont la surveillance et les évaluations des risques seront certainement d’un apport qualitatif stratégique dans l’édifice bancaire et monétaire algérien. L’aspect gouvernance de l’institution est également mis en avant avec la limite des mandats du Gouverneur et des trois vice-Gouverneurs ainsi que le renforcement de l’indépendance de la Banque Centrale en tant qu’autorité monétaire chargée également de la supervision bancaire et de l’application des règles prudentielles. Il faut s’attendre enfin à une   reconfiguration du système bancaire grâce à l’introduction de nouveaux mécanismes liés à la mise en place de l’e-Banking et l’ouverture de l’écosystème aux banques digitales et à la monnaie électronique, la consolidation de la finance islamique et la diversification des offres de produits bancaires en vue d’une plus grande mobilisation de l’épargne des ménages et de leur bancarisation.

 

Le Courrier d’Afrique 54 : Silicon Valley Bank (SVB) spécialisée dans le capital-risque est la seizième institution américaine avec 210 milliards de dollars est victime de la plus grosse faillite bancaire aux Etats-Unis depuis 2008, suite à des retraits massifs de ses clients. Selon vous, quelle sont les raisons de ces retraits massifs ? Est-ce que les autres banques américaines seront touchées ?

 

Pr Brahim GUENDOUZI : A chaque fois qu’une banque fasse faillite, particulièrement aux Etats-Unis, cela fait l’effet d’un séisme, de par le processus de contagion qu’elle enclenche chez d’autres banques, et susceptible d’être suivie alors d’une panique de la clientèle. Pour le cas plus précis de la Silicon Valley Bank (SVB), l’effet déclencheur de sa faillite réside dans la nature même du portefeuille de titres qu’elle détenait, composé essentiellement d’obligations pour un montant de plusieurs milliards de dollars. Le contexte actuel de l’économie américaine caractérisé par un retour de l’inflation a amené la Federal Reserve Bank (FED) a relevé les taux d’intérêt comme moyen pour contrer la hausse des prix. Or il existe un principe en finance s’agissant de la gestion obligataire, qui dit que lorsque les taux d’intérêt augmentent, le prix des obligations baissent et inversement. C’est ce qui est arrivé à la SVB qui a vu son important portefeuille de titres obligataires perdre sa valeur car liés à des taux d'intérêt inférieurs à ceux que rapporteraient les obligations émises aujourd'hui, dans le contexte de taux d'intérêt plus élevés. Les clients de la banque, principalement des entreprises et des personnes fortunées sachant cela, et en fonction de leurs besoins, ont procédé à d’importants retraits qui ont contraint la banque à vendre à perte ses obligations généralement sûres, afin de pouvoir y faire face aux demandes de récupération des dépôts. Les pertes se sont accumulées, entrainant de fait l’insolvabilité de la SVB, puis tout simplement c’est sa mise en faillite. 

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