Le Courrier d'Afrique 54: Bonjour Monsieur Federico Yves
François Crespo, quel est votre parcours professionnel ?
M: Federico Yves François Crespo: Je suis arrivé en Angola en 1990 pour faire mon service national civil en tant que citoyen français et j'ai travaillé à ce qu'on appelait à l'époque le PEE : le poste d'expansion économique de l'ambassade de France, à une période très particulière de l'histoire de l'Angola, puisque c'était la transition d'une économie centralisée vers l'économie de marché et de l'ouverture du pays. Et donc, avant la fin de ma mission, qui était censée être une mission de 18 mois, j'ai décidé de prendre ma chance et de rester en Angola. Entre temps, j'avais rencontré mon épouse qui est angolaise ; et puis en 1993, on a créé ensemble deux sociétés familiales : la première qui est dans la restauration et qui est dirigée par mon épouse avec deux restaurants qui sont aujourd'hui des référence en Angola :le Coconuts et le Café delMar sur l’île de Luanda ; c'est notre fille qui se prépare à reprendre le flambeau, 25 ans après l'ouverture. La deuxième société qui s'appelle Oxbow est investie dans le secteur du commerce, notamment dans l'importation et la distribution de produits d'épicerie. Oxbow a également investi il y a une vingtaine d'années dans la société Sirius avec un ami français et agronome ; Sirius est une société qui s'intéresse à l’agriculture et à l’industrie en apportant des services et de la fourniture à ces deux secteurs clés pour la diversification de l'économie angolaise.
Pouvez-vous
nous présenter Candy Factory Angola ?
Enfin
l'année dernière, le 26 octobre 2022, nous avons finalement inauguré notre
usine de confiserie : Candy Factory. Le rêve de tout commerçant c'est d'un
jour devenir industriel et produire ses propres marques ; aujourd'hui, c'est une réalité avec une
première marque créée par des Angolais pour la région qui s'appelle OKO. OKO
est une expression du sud de l'Angola qui est une manifestation de surprise. Et
donc on donne vie à cette marque depuis
l’année dernière avec un gros investissement en termes de marketing. On a un
produit avec de la technologie, essentiellement de la technologie européenne,
allemande, française et hollandaise. Nous avons une équipe de 90
professionnels, dont seize expatriés, qui sont là pour former les Angolais,
puisque l'industrie de confiserie est toute nouvelle en Angola, elle n'existait
pas il y a deux ans.Aujourd'hui, nous sommes au moins dix sociétés en Angola à
produire de la confiserie de sucre et de chocolat. L’Angola est un pays qui produit
déjà du sucre de canne et qui va probablement un jour exporter du sucre de
canne, notre ambition c'est être une référence dans le secteur de l'industrie
de confiserie dans la région et en Afrique. Pour ce qui est de la production de
Candy Factory, nous produisons déjà trois familles de produits: le bonbon, la
sucette et le chewing-gum ; et bien sûr, nous souhaitons développer notre
gamme dans les années qui viennent.
Comment s’est déroulée la signature du protocole de partenariat de production entre la France et l’Angola en matière agricole et agroalimentaire lors du forum économique qui s’est tenu les 2 et 3 mars à Luanda, clôturé par le président français, Monsieur Emmanuel Macron ?
Le Forum économique qui s'est tenu le
2 et 3 mars à Luanda et qui a réuni une centaine d'entreprises angolaises et
françaises, notamment une délégation du Medef et une délégation de Business
France auxquelles se sont ajoutées les sociétés qui accompagnaient la
délégation présidentielle, était donc centrés sur le lancement d'un partenariat
de production agricole et agro industrielle entre la France et l'Angola. C'est
le résultat d'une volonté exprimée en 2018 par le président João Lourenço lorsqu'il
a effectué sa première visite en Europe et qu'il est venu à Paris, puis à
Toulouse. À Toulouse, il n'a pas visité qu’Airbus, mais également un lycée
agricole et une grande coopérative agricole ; c'était un signal clair de
la volonté de l'Angola à développer sa coopération avec la France dans le
secteur agricole. Comme j'aime le rappeler, jusqu'en 1972, l'or noir en Angola
n'était pas encore le pétrole, puisque ce n'est qu'en 1972 que la valeur des
exportations de pétrole a dépassé celles du café. Et on a tendance à oublier, 50
ans plus tard, que l'Angola a déjà été une puissance agricole régionale,
qu'elle était le troisième exportateur mondial de café, mais qu'elle exportait
également du coton, du sisal, du maïs.Elle était non seulement autosuffisante,
mais elle était exportatrice net, l’Angola produisait également de l’élevage de
viande, de lait. C'est un pays qui est la cinquième surface arable de la
planète, c'est le pays qui a la deuxième ressource d'eau en Afrique. C'est donc
une puissance potentiellement, une puissance agricole qui pourrait rapidement
devenir le grenier de céréales de la région, notamment. La stratégie du
gouvernement depuis cinq ans, c'est de relancer l’économie réelle, à travers la
diversification de l'économie en s’appuyant sur le secteur privé. Il faut se
souvenir qu'on sort de plus de sept années de crise économique et financière,
que la croissance n'est revenue que depuis environ deux ans et que de grandes
réformes économiques et de gouvernance ont été entreprises par le gouvernement
de João Lourenço depuis cinq ans. Cette crise a fait comprendre à tous les
acteurs angolais que nous ne sommes pas un Eldorado pétrolier et qu'il faut
absolument diversifier l'économie pour créer de l'emploi pour l'ensemble de la
population et notamment pour les populations rurales, stopper, en tout cas
freiner la venue des populations de la campagne vers les villes qui saturent,
les villes comme Luanda qui aujourd'hui a près de 10 millions d'habitants,
alors que c'était une ville d'un million et demi d'habitants en 1990. Donc, il
faut freiner cet exode rural en apportant le développement dans les campagnes.
Au
final, qui est le grand vainqueur de ce forum ?
C’est la coopération entre l’Angola et la France. Pour revenir au Forum, comme je le disais, ça a été l'occasion de networking productif, de débattre sur l'identification des besoins des sociétés du secteur agricole angolais, de l’offre des sociétés françaises et des sources de financement. Pour ce qui est de l'organisation de ce forum, il faut saluer les services de l’Ambassade de France, l’AFD, le CEFA (Club des Entrepreneurs France Angola) et leurs partenaires angolais : l’AAPA, l’Association des agriculteurs et éleveurs d’Angola qui réunit les principaux producteurs, les grandes et moyennes exploitations agricoles angolaise et l’APROFAGRO : l'association des professionnels de l'agro, jeune association qui réunit plusieurs centaines de professionnels, d'agronomes et de techniciens agricoles, et qui est un excellent vivier de professionnels dont l'Angola aura un grand besoin pour que cette relance de l'agriculture soit une réussite. Depuis la paix de 2002, on assiste à un investissement de moins en moins timide d'entrepreneurs locaux angolais et étrangers dans l'agriculture. Et on peut citer le cas du groupe Castel, qui a investi depuis plus de cinq ans dans une exploitation de 5 000 hectares de maïs dans la province de Malange et qui développe déjà son propre gritz pour ses brasseries. Nous pouvons citer également le cas d’une EFE, c’est-à-dire une entreprise de français de l'étranger, qui investit dans la province de Kwanza-Sul, dans la relance d'une ancienne ferme de café, dans la régénération d'une plantation d’un cafémitique : le café Amboim. Et bien sûr, de nombreux entrepreneurs étrangers qui investissent également dans le secteur de l'agriculture depuis que la paix s'est réinstallée et avec une dynamique particulière depuis ces dix dernières années. La présence active des secrétaires d’Etat de l’agriculture et de l’éducation ont permis de débattre sur un autre besoin identifié : c'est un fort besoin en formation, non seulement de formation d'ingénieurs, mais surtout de techniciens agricoles pour couvrir tous les niveaux des besoins d'une filière qui est à remettre en place en Angola. Que ce soit au niveau des intrants, que ce soit au niveau de la préparation des terres, que ce soit au niveau de l'exploitation et de la transformation des produits finis. Donc, il y a cette volonté dans le cadre de la stratégie de diversification de l'économie, primo, d'être autosuffisant en termes de besoins alimentaires, puisque, comme l'a rappelé Wanderl Ribeiro de l’AAPA, l'Angola importe pour plus d'un milliard et demi de dollars de produits agricoles tous les ans. Rien que la viande représente plus de 500 millions de dollars. L’Angola n'est pas encore autosuffisante sur ses principales céréales comme le maïs ou le haricot ou le riz.Mais l'ambition de l'Angola dépasse cet objectif d’autosuffisance. Et comme le président de la République l'a déjà déclaré à plusieurs occasions, l'Angola souhaite exporter, souhaite développer des cultures d'exportation et compte également sur la France pour atteindre cet objectif dans les dix prochaines années.
L’Angola à le potentiel de
devenir une puissance agricole dans les prochaines décennies, et la France est
le deuxième investisseur en Angola, quel est le soutiens de la France pour
Angola a pour réaliser ce rêve ?
La France est le deuxième
investisseur étranger en Angola. La relation économique entre nos deux pays est
ancienne. Elle a démarré probablement avec l'arrivée de Total il y a plus de 70
ans. Aujourd'hui, dans le secteur pétrolier, la France, à travers Total et les
sociétés de services, une place majeure puisque plus de 40% de la production de
pétrole est faite par le groupe Total Énergie. Mais ça ne s'arrête pas là. Il y
a plus de 70 sociétés françaises présentes en Angola qui contribuent à la création
de plus de 10 000 emplois d'Angolais. Le groupe Castel est également le premier
contribuable fiscal hors secteur pétrolier, bien entendu, et un acteur majeur
dans la production de boissons, mais aussi de maïs. Et puis, il y a déjà des
investissements dans le secteur agricole depuis une vingtaine d'années
maintenant, de société française qui sont menée à se développer au cours des
cinq prochaines années, très certainement avec la dynamique qui vient d'être
renforcée avec cette visite présidentielle, ce forum et la volonté affichée de
renforcer un partenariat stratégique entre l'Angola et la France, aussi dans le
secteur économique et en particulier dans la relance du secteur agricole et
agroindustriel.
Comment
se portent les relations entre la France et l’Angola dans les domaines
agricoles et agroalimentaires ?
La France n'est pas la seule à s'intéresser au secteur agricole angolais. Il y convient de rappeler que l'Angola est extrêmement capable dans la gestion de multi partenariats. Ça fait partie de son ADN diplomatique depuis toujours. C'est pour ça que l'Angola aujourd'hui a des partenaires qui vont de la Chine, qui reste son reste son principal créancier et qui a été le principal contributeur à la reconstruction du pays à la sortie de la guerre civile en 2002. L'Angola reste fidèle à son histoire et son partenariat avec la Russie, avec Cuba. Elle a aussi su construire des partenariats avec l'ensemble des BRICS et notamment avec le Brésil, qui est un pays que je considère comme un pays frère. On assiste à un renforcement des relations de l'Angola avec l'ensemble de ses voisins et avec l'ensemble des pays de l'Union africaine, et elle joue un rôle majeur reconnu par la France dans la gestion de la crise des Grands Lacs, notamment, mais elle joue également un rôle diplomatique dans l'ensemble de la région d'Afrique centrale. Elle est un acteur majeur au sein de l'Afrique australe et c'est donc une puissance régionale qui ne dépend de personne, et qui sait construire des partenariats avec l'ensemble des pays qui s'intéressent à l’Angola. Je pense que la France peut avoir l'ambition d'être un acteur majeur dans cette coopération internationale pour la relance du secteur agricole en Angola. Mais les sociétés françaises doivent bien conscience qu'elles ne sont pas seules sur ce marché, que des partenariats sont également développés avec d'autres puissances agricoles comme les pays latino américains notamment, et même les pays de la région comme l'Afrique du Sud. Ce qui est certain, c'est qu'avec les financements, notamment de l'Agence française de développement et de la BPI, la France va marquer son empreinte dans la relance de la formation agricole en Angola, puisque ce sont plus de onze lycées agricoles qui vont être remis en place, qui vont être renforcés grâce à ces financements et à ce programme auxquels sont également associés l'Union européenne et d'autres organismes multilatéraux. Et ça, c'est très important pour reconstruire la filière agricole en Angola, former de jeunes Angolais, leur donner, redonner le goût à s'investir dans l'agriculture et non pas seulement dans le commerce et dans le travail en ville.
Quels sont les avantages mis en place par les autorités angolaises pour faciliter l’investissement des entreprises françaises au pays ?
Rappeler la création de l'AIPEX,
l'Agence pour l'investissement privé et la promotion des exportations qui gère la nouvelle loi sur l'investissement privé qui
ne concerne pas que les investisseurs étrangers, mais l'ensemble des
investisseurs privés et qui prévoit donc toute une série de bénéfices fiscaux,
et qui apporte des services d'accompagnement aux investisseurs privés nationaux
et étrangers. La nouvelle loi prévoit
également des régimes spéciaux pour les investissements considérés comme
stratégiques de grandes dimensions.
Ayant eu l'occasion d’ expérimenter moi-même
les services de l’AIPEX, je confirme qu'il y a une grande écoute et un réel
soutien de leur part, aux côtés des investisseurs privés qui sont aujourd'hui
considérés comme le partenaire stratégique du gouvernement. C’est clairement le
secteur privé qui va assurer la croissance et la création d'emplois dans le
pays. Je dois vous parlez également de l’IGAPE, l'Institut de gestion des
participations de l'Etat, qui a la responsabilité du processus de
privatisation, qui a déjà privatisé l'ensemble des usines qui étaient présentes
sur la zone économique spéciale de Viana à l'est de Luanda, qui a déjà
privatisé un grand nombre d'exploitations agricoles qui étaient le résultat
d'investissements publics, mais qui a encore de nombreux actifs publics à
privatiser qui peuvent intéresser les investisseurs français. Et puis enfin,
rappeler également les programmes de financement du PRODESI que ce soit à travers la formule du
fonds de garantie publique du ministère des Finances, que ce soit à travers la
ligne de financement de la BDA qui est la Banque de développement angolaise,
Banque publique qui était et joue également un rôle majeur dans le financement
des projets agricoles et industriels.